Trente-cinq ans après la clôture officielle du Concile Vatican II, il subsiste au cur de lEglise catholique une vive blessure de division, à lheure même pourtant où tant defforts sont faits en faveur de lunité des chrétiens, qui, hélas, se cantonne, dans lesprit de beaucoup, à la seule recherche de rapprochements de lEglise catholique avec les orthodoxes et les protestants. En effet, ceux qui, à la suite du schisme de Mgr Lefebvre, ont eu le courage de rester dans lEglise, ne sont pas pour autant pleinement intégrés en son sein. En témoignent labsence de toute action pastorale commune ainsi que les réticences fortes des diocèses à accueillir les communautés ou les prêtres traditionalistes. De lautre côté, les traditionalistes sont souvent tentés par un repli sur eux-mêmes, évitant de se mêler à une vie diocésaine qui leur parait non conforme à lEglise authentique. Les exemples sont malheureusement fort nombreux de refus, dexclusions et dincompréhensions réciproques.
Ainsi existe-t-il toujours un réel fossé entre ce qui est plus que deux " sensibilités " dans lEglise. Et force est de sinterroger et de se remettre en cause à la recherche de la parfaite unité, pour la plus grande gloire de Dieu. La blessure de ces incompréhensions ne peut être soignée que par un dialogue profond, un dialogue sous le regard de Dieu et fécondé par lEsprit dans le seul but de mieux faire connaître le Fils à notre monde. " Quils soient uns comme mon père et moi nous sommes un, afin que le monde croie ". Pour quil puisse y avoir dialogue fécond dans le respect mutuel, il faut accepter davancer vers la pleine vérité, ce qui implique de reconnaître ses éventuelles erreurs dappréciation et par-dessus tout de refuser les jugements hâtifs. Il faut aussi éviter de se formaliser des différences de style et de langage qui ne sont que le reflet dune réalité assez superficielle.
Ces quelques pages nont dautre ambition que dapporter leur contribution à la réconciliation entre " tradis " et " Eglise conciliaire ". La difficulté de la tâche est à la hauteur de la profondeur de la blessure dune Eglise en crise dans le cur de qui laime par dessus tout. Le propos nest pas ici de faire le procès du traditionalisme. " Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père ". Oui, il y a une place dans lEglise pour ceux qui restent attachés à certaines traditions ; à la condition cependant que ceux qui se sont définis au départ en réaction au concile Vatican II, délaissent définitivement les critiques à son égard, en y reconnaissant lexpression du Magistère de LEglise.
Les deux premières parties de cet essai sans prétention chercheront à avancer quelques analyses et pistes de réflexion dans cette optique de la reconnaissance pleine et entière de Vatican II, qui est absolument nécessaire pour lever les malentendus, approfondir les discussions de fond et permettre enfin la pleine communion. La troisième partie cherchera à trouver quelques actions et orientations concrètes qui pourront aller, de manière palpable, dans le sens de cette pleine communion. Celle-ci exige, une fois les injustes préventions définitivement levées, de changer certaines mentalités des les deux " bords " pour pouvoir enfin bâtir quelque chose de réellement positif, en posant des actes concrets, des actes dEglise.
Première partie
Découvrir la parfaite doctrine catholique dans Vatican II
Pour lever les malentendus, une base commune est nécessaire. Le dernier Concile doit être la référence et le sujet principal de la réflexion, étant donné que cest de lui que sont nées, ou quont été mises en pleine lumière, tant de divergences et dincompréhensions.
Mais qui a lu véritablement Vatican II ? Les fréquentes aberrations entendues ou lues à son sujet laissent supposer que ceux qui le connaissent autrement que par des idées a priori doivent être peu nombreux. Ceux qui le voient à travers les excès provoqués par une compréhension erronée font la même erreur que les auteurs mêmes de ces déviances : ils prennent le concile pour ce quil nest pas. En effet, ces déviances se réclament de lesprit de Vatican II tout en contredisant directement son contenu, nous allons le montrer. Croire quelles en sont le reflet conduit effectivement logiquement à la condamnation du Concile. Et les traditionalistes qui se sont définis en réaction aux aberrations et à lanarchie nayons pas peur de le dire qui a suivi le Concile, doivent absolument reconnaître que le contenu de celui-ci nen est pas la cause. Ainsi sera-t-il possible de retrouver un regard serein sur les textes magnifiques du dernier Concile, seuls dignes de foi.
1. Le Concile contre lesprit du Concile
Il est vrai quil existe un certain nombre de fidèles ou de membres du clergé qui justifient la totale prise de liberté par rapport au magistère et à la doctrine en évoquant " lesprit du Concile ". Celui-ci est caractérisé selon eux par la réconciliation totale de lEglise avec le monde et ses évolutions. Cela les amène à supprimer de leur foi tout ce qui peut déranger notre société, et en premier lieu la transcendance dun Dieu sauveur, et réduit leur religion à un humanisme comme un autre, pastorale étant alors synonyme daction sociale ; Jésus nest alors plus quun homme exemplaire dénué de divinité. La caricature nest ici quà peine forcée.
Quon lise Duquesne, que lon se rappelle laffaire Gaillot ou que lon observe lactuel mouvement " Nous sommes lEglise ", on constate que toutes ces contestations ne sont que tentatives désespérées pour montrer au monde que lEglise a ôté de sa foi et de sa vie tout ce qui va en contradiction avec lui, et quelle a adopté ses " avancées ". Avancées en terme de rationalisme : la vierge Marie ne peut scientifiquement être vierge, on va donc démontrer que Jésus avait des frères selon la chair (Duquesne), avancées en terme de murs : le débat sur lhomosexualité a été un des principaux détonateurs de laffaire Gaillot, avancées politiques, on veut " démocratiser " lEglise (mouvement Nous Sommes LEglise), etc.
Mais tout ceci est en parfaite contradiction avec lenseignement du concile. Si celui-ci a voulu reconsidérer ses jugements sur le monde moderne au vu des nouvelles conditions créées par les bouleversements du siècle, et sil a voulu reconnaître ce quil y a de bon dans nos sociétés modernes, ce nest que pour mieux y envoyer lEglise en mission. Car, à la fois " assemblée visible et communauté spirituelle "(1), lEglise " fait route avec toute lhumanité et partage le sort terrestre du monde ; elle est comme le ferment et, pour ainsi dire, lâme de la société humaine appelée à être renouvelée dans le Christ et transformée en famille de Dieu "(2).
Il est vrai que la constitution Gaudium et Spes pèche parfois par excès doptimisme dans une perception très positive des évolutions du monde, et en particulier de la mondialisation. En prenant le parti de sancrer résolument dans une analyse du monde tel quil était en 1965, elle prenait le risque de manquer de recul et dêtre vite dépassée par les événements. Dans une note au début de la Constitution, les Pères préviennent que " les sujets traités, régis par des principes doctrinaux, ne comprennent pas seulement des éléments permanents, mais aussi des éléments contingents ".
Ainsi, pour le Concile, la vocation universelle (catholique) et missionnaire (apostolique) de lEglise ne fait nullement lobjet de remise en cause ; et si elle fait partie du monde, étant constituée dêtres de chair, elle doit uvrer à le transformer et lui annoncer la Bonne Nouvelle, en qualité de corps mystique du Christ qui lui a légué le " mandat solennel dannoncer la vérité qui sauve "(3) .
Au-delà de la catholicité et du caractère apostolique de lEglise, les autres " notes fondamentales de lEglise " (Une, Sainte, Catholique et Apostolique) font aussi lobjet de remise en cause. La nécessaire sainteté de lEglise, idée qui parait si désuète voire obscurantiste cf. certains commentaires au moment de la Repentance de Jean-Paul II , est tout simplement niée par ces tenants du faux " esprit du Concile " alors que la constitution Lumen Gentium y revient incessamment. Un chapitre entier lui est consacré, le chapitre V intitulé " La vocation universelle à la sainteté dans l'Eglise ".
Quant à lcuménisme (unité), il a parfois été confondu avec la suppression de tout ce qui fait la spécificité de lEglise catholique en matière de contenu de foi, un cuménisme du plus petit dénominateur commun. Ceci est là encore en parfaite contradiction avec le Décret " Unitatatis Redintegratio " sur lcuménisme qui précise bien quil " faut absolument exposer clairement la doctrine intégrale ", car " rien nest plus étranger à lcuménisme que ce faux irénisme qui cause dommage à la pureté de la doctrine catholique et obscurcit son sens authentique et incontestable "(4). On entend aussi fréquemment, au nom du dialogue interreligieux, que toutes les religions se valent. Mais lisons le Concile !
Cette vision ecclésiologique faussée associée à une mauvaise compréhension de certains articles du Concile tel celui sur le sacerdoce commun des fidèles, a provoqué, il est vrai, un mouvement de contestation proche du temps de la Réforme : abandon de la foi en la présence réelle, critiques violentes du sacerdoce, du magistère (mouvement Nous sommes lEglise), etc., preuve pour certains de la mauvaise orientation du Concile Vatican II. Or, les rappels dogmatiques des constitutions Lumen Gentium et Dei Verbum, sils sont simplement exprimés, sont dune clarté sans appel. Certains tenants de ces mouvements, constatant cette opposition radicale entre les textes du concile et lesprit quils croient en être linspirateur, sont tout naturellement arrivés à réclamer à lEglise un nouveau concile, qui, cette fois, intégrerait les " avancées " que les Pères du précédent auraient souhaitées, tout en écrivant lopposé(5)
De tels sophismes ne représentent pas la pensée de lEglise. Et si lampleur du mouvement ainsi que le manque de vigueur de protestation des évêques a pu laisser croire le contraire à certains, ceux-là se doivent de ne pas mettre en doute la hiérarchie de lEglise ; ils doivent être persuadés que ce quelle écrit, sous laction de lEsprit Saint qui ne lui fait jamais défaut, et surtout pas dans un concile cuménique, est la pensée authentique de lEglise catholique.
Il est malheureusement définitivement acquis pour un certain nombre que le concile nest pas conforme à la doctrine traditionnelle de lEglise et en particulier au Concile de Trente et au Concile Vatican I. Cest souvent le présupposé à toute conversation avec les traditionalistes. Or ceci fait preuve tant dun manque détude sérieuse du concile Vatican II que dune vision faussée de lEglise et du magistère.
Le contenu doctrinal de Vatican II na été que tardivement contesté par ses actuels détracteurs. En témoignent les écrits de Monseigneur Lefebvre pendant la durée du concile et même dans son voisinage immédiat. Par exemple, dans un supplément à la revue " Itinéraires " intitulé " Après la IIe session du Concile, faisons le point sous la conduite du successeur de Pierre ", il écrit : " Nous vivons des moments où le surnaturel, où laction de lEsprit Saint est visible, tangible. Quon interroge les observateurs du Concile ; ils nauront pas de termes assez expressifs pour nous féliciter et nous envier davoir un Evêque à qui a été donné le pouvoir suprême sur lEglise, un Evêque vers qui nous tourner lorsque le doute ou les ténèbres nous accablent et en qui nous sommes assurés davoir la Lumière ". Il avait dailleurs lui-même signé finalement tous des textes du concile, même sil ne les avait pas tous votés.
Ce nest que plus tard, vers 1970-1972, au vu des excès apparemment provoqués par le concile, quabandonnant son attitude première de défense dune interprétation authentique du Concile en se référant aux actes de Paul VI, il adopte une attitude radicalement critique. La collégialité, la liberté religieuse et lcuménisme sont compris comme lexpression dune " tendance néo-moderniste et néo-protestante " puis, cest le Concile dans son entier qui tombe sous le coup de la suspicion dêtre en lui-même non conforme à la tradition. Ainsi peut-il affirmer au Figaro le 3 août 1976 que " ce concile, tournant le dos à la tradition et rompant avec lEglise du passé, est un concile schismatique ".
Un tel glissement du discours est vraiment révélateur du manque de fondement des accusations de Mgr Lefebvre. De la dénonciation de la mauvaise interprétation de Vatican II, il en vient à accuser le concile lui-même dêtre porteur de ces déviances. En 1978, il franchit à nouveau lillogisme dans lautre sens en déclarant quil est " prêt à signer une déclaration acceptant le Concile Vatican II interprété selon la tradition ", pour finalement rompre définitivement avec Rome. Mais laissons là Mgr Lefebvre et ses outrances. Cependant, ceux qui, attachés dabord à lui, refusèrent de le suivre dans sa démarche schismatique nont pas pour autant toujours abandonnés la critique.
Cette critique nest pas dailleurs seulement exprimée envers le concile de Vatican II mais aussi envers " toutes les réformes qui en sont issues ", réformes qui ont dailleurs toutes été promulguées validement, juridiquement parlant, par le pape. Cest, outre la contradiction totale avec lextrait cité plus haut à propos du Pape, un manquement grave à la foi envers le Magistère. Une voie pour se justifier était alors de chicaner sur les conditions de validité des promulgations des réformes : ainsi la réforme liturgique nayant pas été promulguée " ex cathedra ", elle ne peut être digne de foi et obligation nous est faite de se méfier ; car si le pape na ainsi voulu engager son infaillibilité, cest quil avait bien conscience des erreurs doctrinales quelle renfermait. Beau raisonnement oh combien répandu !
Adhérer à ceci, cest tout simplement douter, en ce qui concerne les décrets dapplication, du magistère pontifical ordinaire. Pour de tels décrets, le magistère pontifical extraordinaire (infaillible), qui sexerce quand le Saint Père sexprime ex cathedra, na pas lieu dêtre engagé. En effet, ce mode dexercice du magistère sutilise, selon la définition du concile Vatican I " lorsquelle (lEglise) définit la doctrine sur la foi et les murs "(6), ce qui nest pas le cas ici. Le magistère pontifical ordinaire nexige pas moins des fidèles " lassentiment religieux de la volonté et de lintelligence ".
Douter du contenu dogmatique de Vatican II, cest douter de la forme universelle et extraordinaire du Magistère se manifestant lors des conciles cuméniques. Cest douter justement de ce que lEglise est et restera " lEglise de toujours ", cest-à-dire le corps mystique du Christ, qui lui a envoyé son Esprit Saint et qui lui a fait la promesse que " les forces du mal ne lemporteront pas sur elle ". Si un concile cuménique, où le Collège des évêques est réuni en communion pleine et entière avec le pape, et les lois qui en découlent peuvent être sujettes à un doute quant à la sûreté de leur doctrine et à leur conformité avec la tradition de lEglise, il ny a plus alors quà fermer boutique, lEglise nétant plus lEglise.
Un Concile novateur, donc ? Oui, sûrement, dans ce sens où il propose des formes nouvelles ou tombées en désuétude depuis des siècles pour annoncer lEvangile à un monde très complexe et qui a considérablement évolué en un siècle, ainsi que pour tenir compte de la très grande diversification des situations ecclésiales à travers le monde. Va-t-on aborder de la même façon la question de la liberté religieuse dans la France encore très catholique de la fin du XIXe siècle et dans la Chine communiste de la fin du XXe ? Mais il est bien certain que ces adaptations, avec le sens que leur donnent le " petit Robert " qui est " approprier, mettre en harmonie avec ", sont au service de lEvangélisation. Le Concile nest-il pas un concile Pastoral ? Les adaptations mises en uvre par Vatican II, prennent pour modèle la façon dont les Apôtres ont adopté les structures de leurs temps pour mieux le pénétrer en profondeur, et ne se sont en aucun cas faites au prix dun appauvrissement, dun reniement ou dune quelconque innovation théologique.
Cest donc un acte de foi autant que de raison que dadmettre le Concile Vatican II comme conforme à la grande Tradition de lEglise en même temps que nétant pas porteur en lui-même des excès nés de sa mauvaise compréhension.
3. Ladhésion de la foi envers le Concile
La critique envers le Concile ne revêt pas toujours un caractère fondamental et absolu, et il existe une très grande variété dattitude au sein même des communautés traditionalistes. Cela dit, des sujets comme la liberté religieuse, la collégialité, lOecuménisme ou encore le dialogue interreligieux, sont des constantes parmi les motifs de réticences et de récriminations. Il serait trop long de les aborder ici, bien quils soient dune grande importance. Mais en toutes ces questions, qui ne sont pas simples, et qui souvent se prêtent à des simplifications erronées et dangereuses, il faut se montrer particulièrement attentif à ce quen dit le Magistère de lEglise, tant dans les textes du Concile que dans lenseignement des papes.
Le Concile et lEsprit Saint
La référence au magistère du dernier Concile et des papes qui ont suivi devrait suffire à faire disparaître les réticences provoquées par les positions suspectées de nêtre pas conformes à la doctrine traditionnelle de lEglise. Mais quand on en appelle à ladhésion de Foi demandée vis-à-vis du Concile pour résoudre ces questions, en considérant laide apporté par lEsprit Saint au Concile, on se heurte parfois à la grave affirmation dun prétendu illuminisme de Vatican II, qui aurait invoqué sur lui lenvoi de lEsprit saint comme pour une nouvelle Pentecôte, privilège qui na pourtant été attribué quaux seuls apôtres ; les affirmations du Concile ne seraient ainsi pas digne de foi au même titre que les précédents concile, et lon pourrait à juste titre se méfier.
Les premières lignes de la constitution dogmatique Dei Verbum citent la parole de saint Jean : " Quand il écoute religieusement et proclame hardiment la parole de Dieu, le saint Concile obéit aux paroles de saint Jean " Nous vous annonçons la vie éternelle, qui est auprès du Père et qui nous est apparue : ce que nous avons vu et entendu, nous vous lannonçons, afin que vous soyez vous aussi en communion avec nous, et que notre communion soit avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ " (I Jo. 1, 2-3)(7) ". Cette phrase serait la preuve que le Concile se réclame de lexpérience même des apôtres. Mais la phrase se poursuit. Le Concile ajoute : " cest pourquoi, marchant sur les pas du Concile de Trente et du premier Concile du Vatican, il se propose de présenter la doctrine authentique sur la révélation divine et sa transmission, pour que, grâce à cette proclamation du salut, le monde entier croie en écoutant, espère en croyant, aime en espérant ". Ainsi le Concile se place-t-il dans la lignée des Conciles précédents et se met-il à leur école.
Mais doù vient lautorité du Concile et son inspiration ? La réponse est donnée au chapitre deuxième : " La Tradition sacrée et la Sainte Ecriture constituent lunique dépôt sacré de la parole de Dieu qui ait été confié à lEglise [...]. Mais la charge dinterpréter authentiquement la parole de Dieu écrite ou transmise a été confiée au seul Magistère vivant de lEglise, dont lautorité sexerce au nom de Jésus Christ. Ce Magistère nest pas au-dessus de la parole de Dieu ; il la sert, nenseignant que ce qui a été transmis, puisque, en vertu de lordre divin et de lassistance du Saint-Esprit, il écoute pieusement la parole, la garde religieusement, lexplique fidèlement, et puise dans cet unique dépôt de la foi tout ce quil nous propose à croire comme étant divinement révélé "(8).
Ainsi les Pères du Concile ne prétendent-ils aucunement recevoir la révélation directement dans leur conscience, mais ils réaffirment que les Conciles et les papes reçoivent lassistance de lEsprit Saint pour accomplir leur mission " dexpliquer fidèlement " la parole de Dieu, de même que les Conciles et papes précédents lont reçu.
Lobéissance au pape et au Concile
Le grand paradoxe de cette contestation du Concile est révélé, comme le souligne le cardinal Ratzinger, par le problème de lattitude à adopter à légard du Souverain Pontife. En effet, dune part le très grand attachement au siège de Pierre et au dogme de linfaillibilité pontificale et dautre part la constatation du total accord entre les papes Paul VI puis Jean-Paul II avec le concile, menait forcément à un dilemme. La tendance que lon trouve parfois encore chez certains, et qui est très flagrant dans la Fraternité saint Pie X, est à linstauration dune dichotomie entre le Siège de Pierre et celui qui loccupe. Lobéissance, toute théorique, au Siège de Pierre commanderait de désobéir au pape en place, ou au moins de ne pas tenir compte de ce quil dit quand il prend des positions qui semblent choquantes. Pourtant la seule et vraie obéissance sexerce dans la pratique.
Or, depuis le Motu proprio Ecclesia Dei de 1988 reconnaissant la légitimité de célébrer lancien rite, le problème de lobéissance au pape, pour ceux du moins qui en ont accepté les clauses et ont rompu avec le schisme, se pose différemment. En vivant pleinement la grâce de leur liturgie dans le cadre de ce qui leur est offert, les traditionalistes sont réellement dans lobéissance, contrairement à la situation antérieure à 1988. Mais un des dangers serait peut-être de croire à une légitimation par le pape, non seulement de lutilisation du missel de 1962 et dun mode de vie conforme à ce qui se faisait avant le Concile, mais aussi de lattitude de refus de Vatican II. Jean-Paul II met pourtant en garde de rompre sinon de fait du moins de cur avec le Magistère : " C'est surtout une notion de la Tradition, qui s'oppose au Magistère universel de l'Eglise, lequel appartient à l'évêque de Rome et au corps des évêques, qui est contradictoire. Personne ne peut rester fidèle à la Tradition en rompant le lien ecclésial avec celui à qui le Christ, en la personne de l'apôtre Pierre, a confié le ministère de l'unité dans son Eglise"(9).
Autant le passage de la désobéissance à lobéissance en terme de droit et de légalité sest fait en un seul jour pour la partie la plus visible du traditionalisme, à savoir le maintien de lancienne liturgie, le passage de la " désobéissance " à " lobéissance " dans lacceptation du Concile ne pourra se faire en un seul jour. Cest un véritable travail de profondeur et de longue haleine pour convertir le cur et lintelligence à la pensée authentique de lEglise, exprimée dans le dernier Concile, en continuité avec la Tradition.
Il est dur pour ceux qui ont cru obéir à " lEglise de toujours " en nadhérant pas au Concile de se faire taxer de désobéissance à cette même Eglise, alors que dautres lont été encore plus sans encourir les mêmes blâmes. Néanmoins, quelle autre mot employer ? Refuser délibérément lexpression du Magistère et le considérer comme fourvoyé, cest bien un manque de docilité, un manque de confiance.
Puissent ces phrases ne pas blesser ceux qui ont déjà payé tout leur tribut de souffrances à lamour de lEglise. Car le paradoxe et toute linjustice est que cest là où lamour de lEglise et lattachement à la doctrine catholique était parmi les plus élevés que sest glissé le doute envers le Magistère vivant de lEglise. Ceux qui voulaient préserver la Foi pure de toute souillure ont-ils manqué de foi comme tant dautres ?
Aimer le Concile
Ainsi le cardinal Ratzinger ne voit-il " aucun avenir pour une position de refus fondamental à légard de Vatican II, en soi illogique ". Pour lui, " Le point de départ de ce courant est sans doute une fidélité stricte au magistère surtout de Pie IX et de Pie X, ainsi que dune manière encore plus fondamentale au concile Vatican I et à sa définition de la primauté du pape. Mais pourquoi les papes jusquà Pie XII et non après ? Serait-ce que lobéissance au Saint-Siège varie au gré des années ou de la proximité entre un enseignement donné et certaines conviction personnelles ? "(10).
Si on voulait rassembler de façon lapidaire les éléments essentiels qui plaident pour une acceptation pleine et entière du Concile Vatican II, on dirait :
1- que les excès qui ont fait suite au Concile nont pas leur cause dans celui-ci, car ils sopposent directement à la lettre et à lauthentique esprit du Concile,
2- que létude approfondie des textes du Concile montre son insertion parfaite dans la grande Tradition de lEglise et de Pères, ainsi que les réformes qui en sont issues, et en particulier celle de la liturgie(11),
3- que le Magistère de lEglise qui sest exprimé dans le Concile et par les papes Paul VI et Jean-Paul II réclame ladhésion du cur et de lintelligence de tous.
Ceci dit de manière abrupte, il est tout à fait compréhensible que des esprits attachés par dessus tout à lEglise et qui ont été profondément meurtris par la grande crise post-conciliaire, dont on némerge quà peine aujourdhui, aient été tentés den faire porter la responsabilité sur le Concile. Celui-ci semblait sopposer à la Tradition, et effectivement dans la pratique, engendrait en son nom des déviances graves et contraire à tous les enseignements des papes, des saints et des deux derniers Conciles : anarchie liturgique, reniements dogmatiques, ralliements à des thèses non catholiques, en particulier du marxisme, etc. Le premier mouvement dhorreur devant ces " abominations ", réaction en soi saine, aurait dû laisser la place, dans un second temps, à létude sereine des vraies causes de la crise et des textes du Concile. Mais comment trouver la sérénité nécessaire en cette période de déchaînement et cette ambiance de révolution ?
*
Ce travail difficile damour et dadhésion au Concile Vatican II, car il faut laimer autant quy adhérer dans la foi raisonnée, a déjà été entrepris sur un certain nombre de sujets par certaines communautés de rite traditionnel. Ainsi tout récemment un moine du Barroux, le père Basile, a soutenu à Rome puis édité une thèse de doctorat ayant pour titre La liberté religieuse et la tradition catholique, un cas de développement doctrinal homogène dans le magistère authentique(12). Puisse cet exemple être suivi par lensemble des traditionalistes !
Deuxième partie
La liturgie de Vatican II est-elle recevable ?
La liturgie, de par son rôle prépondérant dans la vie de lEglise, a été à la fois le révélateur, la conséquence et aussi la cause des dissensions qui ont été évoquées plus haut. En ce sens il ny aurait rien à ajouter à ce qui a été dit. Ici aussi le point de départ de la contestation de la liturgie dite de Paul VI a été souvent lanarchie liturgique qui a suivi le Concile. On pourrait là encore mettre laccent sur la nécessité de reconnaître que les textes de la " nouvelle " liturgie ne comportent pas derreurs doctrinales, étant lexpression authentique du Magistère. Mais le problème est plus complexe, étant donné que sil ne sagit pas dun changement de doctrine il sagit réellement dun changement des rites de la Liturgie, considérés par certains comme invariables ou du moins, pas dans les conditions dans lesquels ce changement a été opéré ou pas de manière si profonde.
Le propos nest pas ici de discuter de la légitimité de célébrer encore la messe dite " tridentine ", puisque lautorisation du pape en a été donnée, et que lon ne peut rien reprocher à cette belle liturgie, sinon de posséder des limites mises en lumière par le dernier Concile Mais une liturgie, en tant quuvre humaine ne peut que tendre vers la perfection, même si la perfection divine est atteinte dans le sacrement lui-même. Ce qui nen fait pas le manifeste de lobscurantisme religieux que certains récrient. Ce serait considérer le Concile comme une victoire de lEglise du présent sur lEglise du passé, ce qui serait totalement absurde. Le propos est ici de montrer quune réforme était nécessaire et quelle à été préparée par laction de nombreux Pontifes, ainsi que de montrer que la messe de Paul VI est légitime et respecte la Tradition, de manière à " cesser la guerre de la Liturgie ".
1. La longue histoire de la réforme liturgique
Les traditionalistes donnent souvent une image fixe de la liturgie anté-conciliaire. Or, depuis la réforme tridentine, elle a beaucoup plus fluctué quon ne le pense souvent. De plus, la liturgie du concile de Trente, si elle napportait que peu de changements par rapport au précédent missel dInnocent III, était loin dêtre identique aux liturgies des débuts du christianisme et du début du moyen âge. Ainsi le concept de la " messe de toujours " na-t-il aucun fondement.
On argue aussi parfois du fait que la liturgie tridentine est irréformable, compte tenu du fait quelle avait été promulguée " non varietur " en stipulant bien quen aucun temps ni en aucun lieu on ne pourra en aucun point la modifier. A ceci, on répond que ce que lEglise a lié, lEglise peut le délier. Et les papes qui ont opéré des réformes de cette liturgie nen ont jamais conçu aucun scrupule. Cette phrase nest donc pas à interpréter comme étant destinée aux papes et aux conciles futurs ; elle sadresse aux fidèles et au clergé qui serait tentés de conserver la liturgie dont ils faisaient usage avant que celle du concile de Trente leur soit imposée, ou bien de modifier celle-ci de leur propre chef.
La restauration liturgique voulue par le dernier concile est laboutissement dun mouvement de réforme qui ne date pas dhier. Cest au milieu du XIXè siècle que le grand inspirateur de la réforme liturgique, Dom Guéranger, abbé de Solesmes, se lança à lassaut des multiples liturgies gallicanes qui sétaient développées en France. Il sagissait alors de retrouver la pureté des origines. Cest dans les réformes de saint Pie X que ce dessein se voit réalisé. Du moins, nétait-ce quun début. En effet, saint Pie X entrevoyait la nécessité dentreprendre une réforme plus profonde que celle quavait opérée le concile de Trente, qui était conçue pour affirmer une tradition encore récente face aux graves mises en doute par les Protestants du caractère sacrificiel de la messe, du sacerdoce ministériel, ainsi que de la présence réelle(13).
Cest ainsi quil institua une commission chargée de cette réforme, réforme dont il prévoyait lampleur et la longueur, et quil initia par la restauration de la célébration du dimanche et par la réforme du Bréviaire romain. Ainsi affirmait-il : " En vérité tout cela exige, selon le jugement des experts, un travail aussi étendu par son ampleur que par le temps quil demandera ; aussi est-il nécessaire que passent de nombreuses années avant que cet édifice liturgique [...] apparaisse de nouveau dans la splendeur de sa dignité et de son harmonie, une fois nettoyé des enlaidissements dus à lâge "(14). Le grand axe directeur de cette réforme est défini par lui comme étant de permettre une " plus grande participation active aux mystères sacrosaints et à la prière solennelle de lEglise " des fidèles(15).
Cest ce dessein qui a été repris par Pie XII. Il favorisa la meilleure intelligence de la prière des psaumes en révisant le psautier, assouplît le jeûne eucharistique pour permettre à plus de fidèles de communier, étendit lusage de la langue vivante dans le rituel, et surtout modifia de manière conséquente le Missel en restaurant la veillée pascale et la Semaine sainte(16). Puis ce fut Jean XXIII qui annonça en éditant le Missel romain de 1962 la future réforme de lensemble de la liturgie dont les principes devront êtres arrêtés par les pères du prochain Concile cuménique.
2. La restauration liturgique de Vatican II
Le concile, par la Constitution dogmatique Sacrosanctum Concilium(17) sur la sainte Liturgie, répondit aux grandes aspirations des Pontifes en posant les principes directeurs de la restauration liturgique. Celle ci devra permettre une plus grande participation des fidèles, une meilleure intelligence des rites qui devront " exprimer avec plus de clarté les réalités saintes quils signifient "(18), un plus grand accès aux saintes Ecritures ainsi quun recentrage de la vie liturgique autour du mystère pascal(19).
Ces directives furent fidèlement suivies lors de la réforme elle-même, promulguée par les décrets de la Congrégation des Rites. La meilleure participation des fidèles a été permise, comme lavait voulue la Constitution Sacrosanctum Concilium, par lusage de la langue vernaculaire dans les célébrations. Cet usage nest dailleurs pas obligatoire, sauf pour les lectures. Une simplification des rites à été opérée. Ceux-ci ont été épurés de quelques ajouts qui les ont, au cours des siècles, alourdis sans grande utilité : des répétitions inutiles ont été supprimées de manière à ce que " les rites manifest[ent] une noble simplicité "(20). Cest pourquoi le Concile nemploie pas le mot de réforme liturgique mais de restauration.
Point dappauvrissement dans tout ceci. Est-ce un appauvrissement par exemple que de ne réciter quune fois le " Domine non sum dignus " plutôt que trois ? Les rites de la messe, par ces simplifications et les regroupements qui ont eu lieu, ont gagné en cohérence interne et en unité : rites initiaux, liturgie de la Parole, liturgie eucharistique, rite de conclusion. Cest dans cette optique que le " dernier Evangile ", par exemple, a été supprimé. En revanche, la liturgie de la Parole a été considérablement développée : " Pour présenter aux fidèles avec plus de richesses la table de la parole de Dieu, on ouvrira plus largement les trésors bibliques pour que, dans un nombre dannées déterminé, on lise au peuple la partie la plus importante des Saintes Ecritures "(21). Cest ainsi que trois lectures sont désormais lues les dimanches et fêtes et quà chaque jour de lannée correspond une Epître et un Evangile propres, une rotation sur trois années ayant lieu.
3. Le nouvel Ordo Missae : " selon lancienne norme des Pères ".
Pour les Pères du Concile, toutes ces réformes se doivent de respecter la tradition. Elles doivent être établies, selon les mots mêmes de Saint Pie V, " selon lancienne norme des saints Pères "
(22). A ce propos il semble utile de citer abondamment le texte même du Concile. Voici reproduit un paragraphe presque entier intitulé, dans lédition française, " progresser en respectant la tradition ". " Afin que soit maintenue la saine tradition, et que pourtant la voie soit ouverte à un progrès légitime, pour chacune des parties de la liturgie qui sont à réviser, il faudra toujours commencer par une soigneuse étude théologique, historique, pastorale. En outre, on prendra en considération aussi bien les lois générales de la structure et de lesprit de la liturgie que lexpérience qui découle de la plus récente restauration liturgique et des indults accordés en divers endroits. Enfin, on ne fera des innovations que si lutilité de lEglise les exige vraiment et certainement, et après sêtre bien assuré que les formes nouvelles sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique "(23).Cest sur ce dernier point que se sont portées nombre de critiques. Les " innovations " étant jugées trop radicales, en rupture avec le caractère " organique " requis pour lévolution de la liturgie. Pour le prouver, certains se contentent davancer quune réforme de cette ampleur, par le nombre déléments modifiés et par la rapidité de son élaboration, ne peut être quen rupture avec " lorganicité " du développement de la liturgie. Sil est vrai quune réforme dune telle importance et aussi spectaculaire par le nombre de rites modifiés et par laspect très visible des changements ne sest jamais vue dans lEglise, létude rite par rite des évolutions permet den relativiser lampleur. De plus il est difficile dintroduire ici une notion de degré. A partir de quelle " quantité " de modifications le caractère organique est-il rompu ?
Quant à sa rapidité délaboration, il est illusoire de croire que la réforme a émergé du néant entre 1963 et 1970. En fait elle à été préparée depuis le début de ce siècle, en particulier par le " renouveau biblique " et la " recherche ecclésiologique "(24) qui se sont manifestés, par exemple, par la découverte de textes anciens, en particulier sur lEglise des premiers siècles(25). Il est cependant vrai que la rapidité de lapplication de la réforme, application le plus souvent fantaisiste, dans sa forme la plus radicale (abandon total du latin, etc.), a pu voiler, et même briser, le lien dhomogénéité entre les deux formes du rite romain.
Ainsi ces seuls arguments ne sont pas suffisants. En revanche, abordant de manière interne lévolution de chacun des rites, certaines interrogations semblent faire mouche : La concélébration nest-elle pas une complète innovation ? Lintroduction de nouvelles Prières eucharistiques (ou canons) nest-il pas une offense à ce quil y a de plus sacré et de plus intouchable ? Avant de répondre, il semble nécessaire de dire quelques mots de ces fameuses introductions. Car on se rend compte quelles sont souvent mal connues de ceux qui ne fréquentent que la messe dans le rite tridentin.
Les nouvelles Prières eucharistiques
Lintroduction de trois nouvelles Prières eucharistiques (avec le Canon romain devenu la première prière eucharistique, elles sont au nombre de quatre) a beaucoup dérouté, voire scandalisé. Tout dabord, le fait que le Canon romain ait été pendant quatre siècles la seule Prière eucharistique en vigueur dans lEglise Catholique ne doit pas faire oublier quil en existait une grande variété, notamment dans les premiers siècles. Le Concile, dans sa volonté denrichir la prière de lEglise par une plus grande diversité de formules a engendré lintroduction de ces trois Prières eucharistiques.
De ces trois Prières, lune est ancienne (canon 2) et les deux autres sont de composition récente. La deuxième Prière eucharistique reprend, en la modifiant légèrement, lanaphore dHippolyte, un prêtre romain du IIIe siècle. Cette anaphore (le synonyme oriental de canon) est une des plus anciennes que lon connaisse et a été redécouverte au début du XXe siècle. " Linnovation " na ici consisté quà compléter les quelques parties manquantes. La troisième et la quatrième Prière eucharistique ont été certes composées récemment. Cependant elles reprennent exactement la structure générale des anaphores classiques et utilisent un langage pétri de celui des Ecritures, des Pères de lEglise ainsi que de celui de la liturgie. La Prière eucharistique III se réfère directement au Canon romain ; comme lui, elle met très fortement en valeur le caractère sacrificiel de leucharistie. La quatrième, sans pour autant escamoter ce caractère (" le sacrifice qui est digne de toi et qui sauve le monde "(26)), est une ample évocation du mystère de la Rédemption et de lhistoire du Salut. Ce qui frappe, cest que cette Prière eucharistique suit les grandes phases du Credo ; elle débute par le récit de la création et sachève sur lévocation de lenvoi de lEsprit " comme premier don fait aux croyants ". Ceci est une belle illustration du fameux Lex orandi, lex credendi, la loi de la prière est la loi de la foi, linverse étant tout aussi vrai.
On a souvent reproché aux nouvelles Prières eucharistiques de ne pas mettre assez laccent sur le caractère sacrificiel de leucharistie, voire de lomettre littéralement, en rapprochant ainsi la nouvelle messe dune Cène protestante. On vient de voir que cette critique ne peut valoir pour les Canons III et IV (qui sont précisément les seuls vraiment " nouveaux "). Cependant il est vrai que la deuxième Prière eucharistique, du fait de sa grande brièveté, nen fait pas explicitement mention. Mais cest en toile de fond quest présent le sacrifice du Christ qui ne peut être dissocié de leucharistie, comme le rappelle incessamment le Concile qui emploie quarante quatre fois le mot sacrifice à propos de leucharistie(27). Cest ici la preuve que ce qui nest pas dit nest pas forcément nié, et que le doute nest pas permis sur le caractère sacrificiel des nouvelles Prières eucharistiques. La variété des Prières eucharistiques permet justement une heureuse complémentarité entre elles. " Malgré sa brièveté, cette Prière est un riche condensé de tout le Mystère accompli dans leucharistie ; elle ne peut être bien comprise si lon ne fréquente pas aussi les autres Prières, qui sont plus complètes "(28).
La concélébration
La concélébration, quand elle nest pas assimilée à une pure hérésie, est souvent perçue comme une totale innovation. Commençons dabord par voir ce quen dit le Concile. " La concélébration, qui manifeste heureusement lunité du sacerdoce, est restée en usage jusquà maintenant dans lEglise, en Occident comme en Orient. Aussi le Concile a-t-il décidé détendre la faculté de concélébrer "(29). Ainsi demblée les textes du Concile indiquent que, non seulement la concélébration a été pratiquée dans le passé mais que lusage ne sen est pas perdu, même dans lEglise catholique romaine. En effet, la concélébration était un usage très courant aux premiers siècles et perdurera très longtemps elle est encore attestée à la fin du moyen âge. Elle ne subsistera plus que lors des messes dordination. Il est intéressant de constater que le Canon romain conserve une trace de la concélébration ancienne dans la formule " Cest pourquoi nous aussi, tes serviteurs les prêtres concélébrants , et ton peuple saint avec nous... ".
Là encore, il subsiste nombre de réticences. La concélébration ne prive-t-elle pas Dieu de la gloire qui lui est due, un seul sacrifice étant offert là où plusieurs auraient pu lêtre ? Nest-ce pas non plus manquer aux âmes, une seule messe étant offerte pour eux à la place de plusieurs ? Ces deux interrogations se rejoignent. En effet, elles sous-entendent que dans la concélébration les prêtres nexerceraient pas la plénitude de leur sacerdoce et quils noffriraient pas individuellement la plénitude du sacrifice. Or ceci est faux. Dautant plus faux que le sacrifice eucharistique se réfère au seul et unique sacrifice du Christ, seul " sacrifice qui est digne de Toi et qui sauve le monde ", seule Offrande capable de rendre gloire à Dieu. Ce nest donc en aucun cas priver Dieu de la gloire qui Lui est due que de concélébrer (comment lEglise pourrait-elle alors le recommander ?). Ce nest pas plus manquer aux âmes car chaque prêtre concélébrant offre, tout comme dans une messe non concélébrée, une intention qui lui a été confiée et pour laquelle il reçoit une offrande.
Mais ceci ne répond pas à la question du bien fondé de la restauration de la concélébration. Quapporte-t-elle par rapport à la messe davant le concile ? Nest-ce pas plutôt un apport inutile qui ne fait qualtérer le recueillement des célébrations ? Il convient ici de comparer ce qui est comparable. En effet, lerreur fréquente consiste à prendre pour référence la forme privée, ou basse de la messe tridentine qui sétait petit à petit généralisée. En effet la " missa normativa ", cest-à-dire la " messe de référence ", nest pas cette messe privée, mais la messe dite " stationale ", qui est la messe célébrée par lEvêque entouré de ses prêtres et de ses diacres. Cest autour de cette référence que sarticulent les autres niveaux de célébration, le plus simple étant la messe " privée ". On ne peut donc prendre cette messe privée comme élément de comparaison avec une messe concélébrée, car elle ne sont pas du même ordre.
Ainsi la concélébration à été rétablie pour mieux signifier cette unité du sacerdoce, et en particulier lunité entre lévêque et ses prêtres. " La liturgie est un univers de signes hiérarchisés et complémentaires ; cest pourquoi, toutes choses égales dailleurs, la messe concélébrée dignement signifie et réalise mieux lunité du sacrifice, lunité du sacerdoce et lunité de lEglise réunie au même autel, que des messes individuelles simultanées "(30).
Lusage du français dans la liturgie
Lusage de la langue vernaculaire dans les célébrations soulève souvent bien des réticences chez les traditionalistes. Voilà pèle mêle les objections les plus courantes : " Avec labandon du latin, langue de lEglise, son caractère universel se perd ". De plus, " cest la porte ouverte à des erreurs de traduction et à des improvisations douteuses ". " Il ne faut pas oublier que cest Calvin qui le premier a voulu célébrer en Allemand et à ce titre on se peut se demander dans quelle mesure cette introduction nest pas une concession au protestantisme ".
La Présentation générale du Missel romain apporte un éclairage particulier sur cette question. Elle se plonge dans les textes et lhistoire du Concile de Trente. Il est difficile de résister à la tentation de citer un large extrait de cette Présentation: " Lorsque les Pères du IIe Concile du Vatican ont répété les affirmations dogmatiques du Concile de Trente, ils ont parlé à une époque bien différente de la vie du monde ; cest pourquoi, dans le domaine pastoral, ils ont pu apporter des suggestions et des conseils que lon ne pouvait même pas prévoir quatre siècles auparavant. Le Concile de Trente avait déjà reconnu la grande valeur catéchétique impliquée dans la célébration de la messe, mais il ne pouvait en tirer toutes les conséquences pratiques. Certes, beaucoup demandaient quil fut permis demployer la langue du pays dans laccomplissement du sacrifice eucharistique.
" Devant une telle requête, le Concile [de Trente], tenant compte des circonstances dalors [la Réforme], estimant quil était de son devoir de réaffirmer la doctrine traditionnelle de lEglise, selon laquelle le sacrifice eucharistique est avant tout laction du Christ lui-même : par conséquent, son efficacité propre nest pas atteinte par la manière dont les fidèles peuvent y participer. Cest pourquoi il sest exprimé de cette façon ferme et mesurée : " Bien que la messe contienne un riche enseignement pour le peuple fidèle, les Pères nont pas jugé bon quelle soit célébrée indistinctement en langue du pays "(31). Et il a condamné celui qui estimerait " quil faut réprouver le rite de lEglise romaine par lequel le Canon et les paroles de la consécration sont dits à voix basse ; ou que la messe doit seulement se célébrer dans la langue du pays "(32). Néanmoins, si dun côté il a interdit lemploi de la langue vivante dans la messe, dun autre côté, il a prescrit aux pasteurs dy suppléer par une catéchèse faite au moment voulu. [...]
" Cest pourquoi, rassemblé pour adapter lEglise aux conditions de sa fonction apostolique à notre époque, le IIe Concile du Vatican a scruté profondément, comme celui de Trente, la nature didactique et pastorale de la liturgie(33). Et comme il nest aucun catholique pour nier que le rite accompli en langue latine soit légitime et efficace, il a pu concéder en outre que " lusage de la langue vivante peut être souvent très utile pour le peuple " et il en a permis lusage "(34).
Ce texte est dune clarté sans équivoque et on pourrait le citer encore plus longuement, tellement il répond bien à la problématique que nous traitons dans ces pages. On y voit bien comment les directives du Concile de Trente et celles de Vatican II répondent à un même souci, et que leur antagonisme apparent nest du quaux changements de conditions de lépoque. Ces conditions induisent une réponse appropriée de la part de lEglise, privilégiant tel ou tel aspect de la liturgie, parfois au détriment dautres. Ceci répond donc au soupçon de " protestantisation " de la messe en montrant comment le Concile de Trente à agi en réaction à la Réforme entraînant, pour éviter toute contamination et confusion dans lesprit des fidèles, linterdiction de la langue vivante ; mais non pas en tant quhérésie ou même chose nuisible pour les fidèles puisquil convient que son absence comporte des inconvénients auquel il faudra suppléer. Le danger inhérent à lépoque de lessor du Protestantisme ayant disparu, et les papes ayant souhaités, depuis saint Pie X, une plus grande participation des fidèles, lintroduction des langues vernaculaires se justifie pleinement.
De même que le parti adopté par le Concile de Trente comportait des inconvénients, celui pour lequel Vatican II a opté peut comporter les siens. Il est vrai que luniversalité de lEglise, qui ne se réduit dailleurs heureusement pas à lusage de la langue latine, est peut être manifestée de manière moins éclatante à travers le monde par lemploi de langues variées que dune langue unique. Et il est vrai que le latin, qui dailleurs na pas été, bien au contraire, interdit par le dernier Concile, a certainement trop complètement disparu de nos célébrations, en particulier des célébrations internationales. Cependant, cest pour le plus grand bien des fidèles, pour permettre une plus entière participation aux mystères sacrés et une plus grande intelligence des textes admirables de la liturgie et de lEcriture, que le Concile a encouragé cet emploi de la langue du pays.
La dernière objection part de la constatation que les textes de la liturgie sont plus facilement victimes de manipulations de la part du célébrant quand il sont dit en français. Là encore, faut-il juger une réforme par les excès quelle peut engendrer ? Projetons-nous dans la France du début du XIXe siècle. En cette période de plein gallicanisme, chaque diocèse pratique sa propre liturgie. Des textes écrits, en latin certes, par des ecclésiastiques pas toujours inspirés, remplacent ceux de la liturgie romaine. Quon entende Dom Guéranger évoquer ces missels qui " parlent comme le premier venu " ! La tentation de sapproprier la liturgie en en modifiant à son gré les textes et les rites a toujours été présente, aujourdhui pas forcément davantage quautrefois. Lusage du français rend probablement plus flagrante cette tendance, mais il nen est pas la cause.
Quant aux risques de mauvaises traductions, que certains considèrent comme sétant réellement concrétisés, ils sont écartés par le Siège apostolique, qui, par lintermédiaire de la Congrégation des rites, élabore et contrôle les traductions du latin, garantissant leur rectitude dogmatique. Il est vrai cependant que des améliorations sont toujours possibles, notamment pour pallier à des appauvrissements dus hélas à une certaine contamination de quelques commissions liturgiques par le fameux " esprit du concile " déjà évoqué. Ceci a conduit à la suppression de mots de vocabulaire et dexpressions jugés par trop désuets, et remplacés par quelques fadeurs et approximations. Lexemple de la traduction du Suscipiat Dominus est éclairant. " Que le Seigneur reçoive de vos mains le sacrifice à la louange et à la gloire de Son Nom, pour notre bien et pour celui de Son Eglise sainte "
(35) en est la traduction littérale. Celle adoptée officiellement en diffère étonnement : " Pour la gloire de Dieu et le salut du monde ". Il sagit bien là plus que dune adaptation au langage actuel, mais bien dune perte de sens. Cependant, jamais le contenu doctrinal nest atteint dans sa substance, et cest là une grâce de lEglise.Ainsi la critique systématique du rite actuel nest pas justifiée. Faut-il pour autant que les traditionalistes abandonnent le rite ancien ? Non, bien sûr. Car cest là un élément de richesse que ces deux liturgies. Et cela ne brise pas pour autant lunité de lEglise. A deux conditions cependant, cest que le rattachement à un rite ne soit pas une manière de dénigrer lautre et que les deux rites ne séloignent pas lun de lautre, comme le souligne le cardinal Ratzinger, afin de " mettre en évidence leur convergence intime " et non leurs divergences(36).
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Si la reconnaissance du Concile Vatican II par les traditionalistes est la condition nécessaire à la réconciliation, ce nest pas la seule ; et ce ne sont pas seulement les traditionalistes qui doivent faire un effort. Il y a aussi une conversion à opérer dans les Eglises diocésaines et parmi les fidèles. Notre dernière partie abordera les différents éléments pratiques et concrets devant permettre une intégration plus parfaite des communautés traditionalistes au sein des diocèses, après avoir mis en valeur certaines attitudes courantes parmi le Clergé et les fidèles qui compromettent la réconciliation.
Troisième partie
Communautés traditionalistes et diocèses : la réconciliation dans la pratique.
Dans cette partie, nous considérerons comme acquis la pleine acceptation du dernier Concile du Vatican par les communautés traditionalistes, ce qui est dailleurs le cas pour un certain nombre dentre elles. Ainsi il est possible denvisager un dialogue plus serein puis une collaboration au salut des fidèles, qui sont les premiers à souffrir des divisions, avec les évêques et les Eglises diocésaines. A condition toutefois que celles-ci sy prêtent, ce qui nest souvent pas le cas. En effet un certain état desprit envers la tradition et tout ce qui sy rapporte, très répandu parmi les fidèles (et aussi le clergé), engendre une grande intolérance à légard de ceux qui restent fidèles à certaines formes traditionnelles, y compris celles qui nont pas été " abolies " par le Concile ou même qui ont été encouragées. Il est donc nécessaire et même urgent de restaurer lamour de lauthentique tradition dans le cur du peuple chrétien. Au-delà de la réconciliation des " traditionalistes " avec le Concile Vatican II et des " modernistes " avec la tradition, il est nécessaire que des actes concrets et des signes forts soient accomplis pour que lunité de lEglise soit réelle et manifeste aux yeux de tous.
1. Pour une pastorale de la tradition
Le refus de la tradition
Au risque de se répéter, il est à constater que ce mouvement de contestation de la tradition est dû, là encore, à la contamination des mentalités de certains chrétiens par un esprit à lopposé de lEvangile, venu tout droit du " monde ". Cest lesprit de révolution, hérité du mouvement de mai 68, illustré par ce fameux slogan : " Du passé faisons table rase ". Ainsi le Concile est-il perçu comme la victoire sur lEglise du passé, intolérante, obscurantiste et servile. Intolérante parce que prétendant détenir la vérité et limposant sous forme de dogmes par lintermédiaire dun pouvoir pontifical despotique, obscurantiste parce quanti-libérale en refusant la modernité et imposant une morale brimant la liberté, servile vis-à-vis des écritures et de la tradition.
Le pontificat de Pie IX, avec le " Syllabus " et le Concile Vatican I qui définit le dogme de linfaillibilité pontificale, en éloignant les espoirs de réconciliation de lEglise avec le monde moderne, cristallise tous les motifs de désaccord. En revanche, le deuxième Concile du Vatican a été perçu comme un signe de ralliement au monde, à la modernité et aux idées nouvelles, marxisme en tête. Ne paraissait-il pas opposé en tout point à ce pontificat honni de Pie IX ? Ne prônait-il pas la collégialité, le dialogue avec le monde ? La liturgie nétait-elle pas le symbole de cette libération en permettant ladaptation ?
Ainsi, plus de dogmes pesants : à chacun sa foi ! Plus de hiérarchie autoritaire : lEglise doit se démocratiser. Les sacrements sont des signes et non plus les actes presque magiques quils étaient " autrefois ". Lobéissance au pape et la continuation de la Tradition nétant pas respectueuses de la liberté de pensée de chacun, il faut sen libérer. La liturgie est un acte uniquement généré par la communauté qui en est larchitecte.
Au-delà de ce trait à peine forcé dune ligne dure qui se décline en de multiples variantes et subtilités, il reste que cet état desprit a trouvé de larges échos parmi les catholiques, à des degrés divers. Ceci a engendré un état desprit presque généralisé de méfiance envers la tradition et de " lEglise du passé ", qui rassemble tout ce qui est honni.
On ne voit que trop ce que cet état desprit a engendré comme abandons dans la vie quotidienne de lEglise : abandon dune part importante du patrimoine artistique de lEglise ornements, vases sacrés, chant grégorien, etc. , abandon de toutes les formes extérieures de foi ou de dévotion tel que le port de la soutane par exemple ou encore les processions. Plus grave encore, ce sont des pratiques comme ladoration eucharistique ou le sacrement de pénitence sous sa forme individuelle que lon a refreinées ce qui porte préjudice à la perception même des sacrements. On ne voit plus non plus la nécessité dadhérer aux dogmes et à la morale traditionnelle de lEglise.
Ce phénomène nest sans doute pas ignoré des évêques, mais on peine à trouver parmi leurs orientations pastorales une petite part pour la pastorale de la Tradition, alors quelle mériterait une place dhonneur équivalente à celle que lui accorde le Concile. Et même plus encore puisquelle doit reconquérir lestime du peuple chrétien, quelle à largement perdue depuis les années soixante.
La tradition vue par le Concile
Avant dinstituer une quelconque réforme, Le Concile se réfère et fait appel systématiquement à la Tradition de lEglise ; de même base-t-il les règles dinterprétation des saintes Ecritures et de la " sainte théologie " sur cette même Tradition(37), hautement estimée. Plus encore, dans la Constitution dogmatique Dei Verbum, le Concile dit toute limportance de la tradition dans la vie de lEglise et sappuie précisément sur celle-ci pour en donner une définition juste. Il convient de citer ici abondamment le texte même du Concile :
" Ce qui a été transmis par les Apôtres embrasse tout ce qui contribue à diriger saintement la vie du peuple de Dieu et à accroître sa foi ; ainsi lEglise, dans sa doctrine, sa vie et son culte, perpétue et transmet à toutes les générations tout ce quelle est elle-même, tout ce quelle croit.
" Cette tradition qui vient des apôtres se développe dans lEglise sous lassistance du Saint-Esprit : grandit en effet la perception des choses et des paroles transmises, par la contemplation et létude quen font les croyants qui les gardent dans leur cur, par la pénétration profonde des réalités spirituelles quils expérimentent, par la proclamation quen font ceux qui, par la succession épiscopale ont reçu le charisme assuré de la vérité. LEglise, à mesure que se déroulent les siècles, tend toujours à la plénitude de la vérité divine, jusquà ce que les paroles de Dieu reçoivent en elle leur consommation.
" Les propos des saints pères attestent la présence vivifiante de cette tradition, dont les richesses se déversent dans la vie de lEglise vivante et priante. Cest par la même Tradition que le canon des Saints livres se fait connaître dans sa totalité à lEglise ; cest en elle que les Saintes lettres elles-mêmes sont comprises de façon plus pénétrantes et sont rendues infiniment actives ; cest ainsi que Dieu, qui a parlé jadis, sentretient sans arrêt avec lépouse de son fils bien aimé, et que lEsprit-Saint, par qui la voix vivante de lEvangile retentit dans l'Eglise et par lEglise dans le monde, introduit les croyants en tout ce qui est vérité, et fait résider chez eux en abondance la parole du Christ.
" [ ] Ce nest pas par la Sainte Ecriture toute seule que lEglise puise la certitude quelle a sur tout ce qui est révélé. Cest pourquoi lEcriture et la tradition doivent être reçues lune et lautre avec un égal sentiment de piété, avec un égal respect.
" La tradition sacrée et la sainte Ecriture constituent lunique dépôt sacré de la parole de Dieu qui ait été confié à lEglise. [ ] Mais la charge dinterpréter fidèlement la parole de Dieu écrite ou transmise a été confiée au seul magistère vivant de lEglise (38)".
On voit limportance primordiale que le Concile donne à la Tradition " présence vivifiante " et vivante, ainsi que gage indispensable de la vérité. Ainsi est-il vraiment nécessaire deffectuer une pastorale tant vis-à-vis des fidèles que du clergé. Elle devra veiller à faire cesser tout combat contre les formes plus traditionnelles de liturgie. Il est à souhaiter que les évêques prennent une position très claire dans ce sens, en permettant largement la célébration de lancien rite et plus encore en favorisant la célébration du nouveau de manière plus traditionnelle(39), répondant en cela au désir profond de nombreux catholiques, ainsi quen rappelant incessamment la doctrine traditionnelle de lEglise.
Tradition et traditionalismes
La lecture de lextrait de Vatican II suscite deux réflexions. La première concerne le caractère vivant de la Tradition, et la deuxième, la distinction entre la grande Tradition et les traditions partielles.
La Tradition nest pas à considérer dabord comme passive mais comme active. Elle " grandit " et " tend vers la plénitude de la vérité divine " et elle reste, par la grâce du " magistère vivant de lEglise ", lexpression authentique de la foi catholique. Ainsi les pratiques religieuses doivent-elle être mises en harmonie avec lenseignement du magistère. Dans cette optique, une nouveauté instituée par le magistère ne soppose pas à la Tradition, mais est plutôt lessence de son développement, pour tendre vers la plénitude de la vérité.
Au sein de cette grande Tradition se développent des traditions partielles locales, liées à un ordre particulier ou à une spiritualité donnée qui viennent enrichir la vie ecclésiale. La légitimité de celles-ci suppose quelles soient en harmonie avec le magistère, approuvées par lui. Le traditionalisme, dans son acception péjorative, consiste à prendre une tradition partielle pour la grande Tradition.
La tradition tridentine fait partie de la Tradition vivante de lEglise à la manière dune chaîne appelée à être prolongée par dautres maillons. Si les vieux maillons perdurent à côté des nouveaux, ils ne sont pourtant plus la chaîne entière. Ainsi la tradition tridentine est-elle devenue une tradition partielle en tant quexpression dune certaine spiritualité, et ne constitue pas à elle seule la grande Tradition de lEglise, comme le sous-entendent bien de traditionalistes, induisant une conception de la Tradition indépendante du magistère de lEglise.
Ainsi Jean-Paul II dans le Motu proprio Ecclesia Dei de 1988 constate qu" à la racine de cet acte schismatique [de Mgr Lefebvre], on trouve une notion incomplète de la Tradition. Incomplète parce qu'elle ne tient pas suffisamment compte du caractère vivant de la Tradition qui, comme l'a enseigné clairement le Concile Vatican II, " tire son origine des apôtres, se poursuit dans l'Eglise sous l'assistance de l'Esprit-Saint ; en effet, la perception des choses aussi bien que des paroles transmises s'accroît, soit par la contemplation et l'étude des croyants qui les méditent en leur cur, soit par l'intelligence intérieure qu'ils éprouvent des choses spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, reçurent un charisme certain de vérité " ".Et le pape ajoute : " Mais c'est surtout une notion de la Tradition, qui s'oppose au Magistère universel de l'Eglise lequel appartient à l'évêque de Rome et au corps des évêques, qui est contradictoire. ".
Cest dans cette optique quaccepter des changements ne constitue pas un reniement de la Tradition mais bien plutôt participer à la croissance en Dieu de lEglise. Et cela va beaucoup plus loin que des changements formels et touche toute la vie de lEglise et sa doctrine. Cela exige un discernement, une prudence et une patience bien à lantithèse de ce qui sest vu après le Concile ; mais une attitude dimmobilisme est tout aussi dommageable à la croissance harmonieuse de lEglise. Cest ainsi que labbé Christian Laffargue constate qu" en dehors et au-delà de tous les excès et les scandales issus des réformes post-conciliaires, lEglise du Christ continuait de progresser spirituellement et intellectuellement, de façon cachée. [ ] Ce travail de la grâce sera clairement manifesté dans le Catéchisme de lEglise Catholique. "
Il ajoute : " Il nous fallait rattraper le temps perdu au lieu de manifester un attachement nostalgique exacerbé à lEglise antéconciliaire et didéaliser le passé. Jadhère tout à fait à lidée émise par le pape dans son homélie à Reims, en septembre 1996, selon laquelle lEglise doit être lEglise du temps présent. La liturgie traditionnelle est vécue par beaucoup de prêtres et de fidèles comme partie intégrante dun passé parfait vers lequel ils veulent revenir, alors quau contraire cette tradition liturgique immémoriale, injustement et scandaleusement combattue depuis trente ans, reste un don et une richesse pour lEglise daujourdhui, une référence pour notre temps. "
Ainsi nous faut-il envisager, principalement dans la liturgie qui est le centre de tout, ce qui peut et doit être modifié pour suivre la marche non achevée ! de lEglise vers la perfection, tout en gardant ce " trésor multiséculaire " quest la liturgie tridentine.
2. Intégrer la réforme liturgique dans le cadre de la liturgie tridentine
Le cardinal Ratzinger le dit bien dans son discours pour les dix ans du Motu proprio Ecclesia Dei : " Voilà pourquoi il est si important dobserver les critères essentiels de la Constitution sur la Liturgie, que j'ai cités plus haut, aussi si lon célèbre selon le Missel ancien ! " : il est nécessaire tout autant que réalisable de célébrer la liturgie tridentine dune manière fidèle au concile. Le cardinal avec raison demande de ne pas considérer comme primordiales des questions secondaires tel que lorientation du célébrant ou la langue utilisée. Nous avons vu en revanche quels étaient les points essentiels sur lesquels le Concile a insisté : une plus grande participation des fidèles, importance accrue donnée aux Saintes Ecritures, etc. Ce nest pas renier lancienne liturgie que dintégrer ces enrichissements.
Le calendrier liturgique
La communion entre les fidèles des deux rites est perturbée par lexistence des deux calendriers liturgiques. Quoi de plus important pour la vie quotidienne de lEglise que la célébration des saints dans sa liturgie ? Quoi de plus triste que de voir deux communautés désunies dans linvocation de ses Saints ? Mais pourquoi donc refuser le nouveau calendrier ? La réforme du calendrier nest pas chose rare dans la vie de lEglise, ne serait-ce que pour intégrer les nouveaux saints et martyrs (quand fêterons-nous sainte Edith Stein ?), et nest pas forcément lié à un rite particulier. On ne peut dire non plus quil nest pas légitime de la part du Siège Apostolique de procéder à un tel changement.
Le nouveau calendrier supprime, il est vrai, quelques octaves, ajoutées en surnombre au cours des siècles, pour revaloriser celles qui prolongent les deux fêtes principales : Pâques et Noël. On pourrait tomber dans la facilité du slogan en disant : " trop doctaves tue loctave ", et ce ne serait pas si faux. On a beaucoup récrié la suppression de loctave de Pentecôte, allant jusquà dire quune telle suppression est la preuve de la dérive simplificatrice du Concile, et plus encore quelle démontre la " perte de la catholicité dans lEglise " (authentique) ! Outre la raison évoquée ci-dessus, une autre sajoute, particulière à la Pentecôte : le temps pascal durant parfaitement et symboliquement cinquante jours, il semblait plus logique de cesser les festivités à son terme, et de finir ainsi sur le point culminant de la venue de lEsprit-Saint. Le temps " ordinaire " sen retrouve valorisé, pour une plus grande richesse de vie liturgique.
Le nouveau calendrier veut donner toute sa place à la célébration des saints, en cherchant à mieux faire coïncider la fête du saint avec la date historique de sa mort. Des communautés célébrant lancien rite, tels les bénédictins de Fontgombaut, ont compris limportance dun calendrier unique pour la communion avec toute lEglise, et utilisent le calendrier actuellement en vigueur tout en célébrant la liturgie tridentine. Cest à la fois la preuve que la mesure est concrètement envisageable, et un exemple à suivre. Il faut vraiment souhaiter que cet usage se généralise.
Participation des fidèles et " sens du sacré "
Afin de permettre une meilleure participation des fidèles à la messe, données doivent être prises en compte. Le cardinal Ratzinger reconnaît " que la célébration de lancienne liturgie sétait égarée trop dans le domaine de lindividualisme et du privé, et que la communion entre prêtre et fidèles était insuffisante "(40). Le Concile en avait conscience et a tenté dy remédier, par exemple en faisant prononcer les paroles du canon à voix haute. Il faut donc être attentif, si lon garde lancienne manière de célébrer, à ne pas retomber dans lexcès de lindividualisme.
Participation des fidèles et respect du sacré, sont souvent mis en opposition. Les liturgies actuelles sont fréquemment accusées à juste titre souvent docculter le sens du sacré par un trop grand flot de paroles. Cela vient dune confusion entre participation des fidèles et animation de la messe par quelques-uns uns dentre eux, générant un bavardage liturgique incessant. Mais que dire dune liturgie où les fidèles, déconnectés de laction sacrée se déroulant à voix basse à lautel, chantent par exemple un chant à Marie pendant la Doxologie ? Et le fait nest pas rare, faisant preuve là aussi dun réel manque de sens du sacré, de sens liturgique.
Ainsi, est-il nécessaire dattirer particulièrement lattention des fidèles de rite tridentin sur la participation pleine, même si elle est silencieuse, à laction sacrée, et avant tout à la consécration, suivant pas à pas les actes et paroles du prêtre en simprégnant de leur signification, sans autres actes en parallèles, chant, chapelet, prières pendant la messe, etc., qui nont pas leur place ici.
La richesse des Ecritures
Certaines communautés de rite tridentin comme les bénédictines de Jouques ont adopté, à la demande de leur évêque, les cycles de lectures mis en place par la réforme liturgique, ces lectures étant dites en français, selon la volonté du Concile. Ceci n'a pas toujours été facile à accepter par ces communautés. Mais force est de constater que ces " adaptations " sont très justifiées. D'une part, tout en ne dénaturant en rien le rite tridentin, l'adoption du français pour les lectures permet de répondre à l'exigence du concile de favoriser la bonne intelligence des textes par les fidèles ; Et d'autre part, de l'aveu même des membres des communautés concernées, les nouvelles lectures sont une nourriture spirituelle très riche. Elles sont en effet incomparablement plus variées que les anciennes puisque la majeure partie de l'Ecriture est lue en deux ans pour les messes de semaine et en quatre ans pour les dimanches et fêtes. Plus profondément encore, c'est un élément très important pour la communion ecclésiale, l'Eglise entière méditant en même temps sur les mêmes textes de la Sainte Ecriture.
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Voila donc quelques élément concrets parmi les plus importants quil est indispensable de prendre en compte pour que le rite tridentin reste vivant au contact de la Tradition active de l'Eglise, et puisse jouer tout son rôle d'enrichissement de la vie ecclésiale. Ainsi, la tradition tridentine prendrait sa juste place, et toute sa place, au sein de la grande Tradition de l'Eglise et non comme étant cette Tradition elle-même. C'est dans cette perspective qu'il serait bon d'abandonner l'expression de " liturgie traditionnelle " pour désigner le rite tridentin, non parce qu'elle dit que le rite tridentin est traditionnel, mais parce qu'elle suppose que la liturgie nouvelle ne l'est pas.
Il ne faut pas prendre, comme le dit bien le cardinal Ratzinger, ces tentatives d'harmonisation entre les deux rites comme une ruse destinée à faire disparaître à terme le rite tridentin ou plus encore les " tradis " eux-mêmes , mais bien au contraire comme le moyen de lui donner toute la place qui lui est due, en lintégrant parfaitement à la vie de l'Eglise. Ceci n'est possible que si la fidélité aux Conciles de Trente et de Vatican I est complétée par celle au Concile Vatican II, et si la perpétuation du rite tridentin nest pas justifiée par le refus de la nouvelle liturgie.
Ainsi, il faut éviter par-dessus tout que les deux rites évoluent dans deux sens différents, et si cela est déjà fait, alors il faut que des efforts soit fait pour que cela soit réparé. La liturgie nest pas celle dune communauté ou dune paroisse. Chaque catholique doit pleinement sy retrouver, même sil existe des accents spirituels différents.
Un des fruits, ou peut-être le fruit majeur, de cette cohabitation harmonieuse entre les deux formes (lancienne et la nouvelle) du rite romain, est la biritualité, qui consiste à ce quun même prêtre célèbre dans les deux rites. Elle est en effet à la fois la preuve de la bonne acceptation réciproque des deux rites et le gage de bonne communion entre les deux. Ainsi, les réticences qui entravent encore aussi bien lassistance par les fidèles que la célébration par les prêtres de cérémonies dans lautre rite, montre encore, sil le fallait, combien la réconciliation entre les deux rites nest pas encore réalisée. Ce biritualisme sera le fondement dactions pastorales communes, de célébrations communes, pour le plus grand bien des fidèles.
En ce jubilé de l'an 2000, où le pape Jean-Paul II nous invite à l'unité pour le service de la nouvelle évangélisation, il est plus qu'urgent que toutes les forces de l'Eglise s'unissent. La mission ne peut se passer de toute la jeunesse, l'élan et la foi des communautés de rite tridentin qui ne peuvent être féconde quen pleine communion avec lEglise. C'est pourquoi les évêques et les prêtres doivent à tout prix cesser d'hésiter à accueillir complètement, et pas seulement à tolérer, les communautés restées fidèles à l'ancienne liturgie. Un bon nombre de ces communautés attendent beaucoup de la hiérarchie de l'Eglise qui doit les aider à trouver le bon équilibre entre leur exigence de fidélité et lapplication de Vatican II.
La pleine communion ne se fera pas si lunité nest recherchée que concrètement ou uniquement à propos de la liturgie. Car cest au fond du cur de chacun que doit sopérer lamour du Concile et lamour de la Tradition qui sont les deux piliers de la réconciliation.
Le renouveau de l'Eglise que le pape appelle de tous ses vux pour le troisième millénaire ne peut se faire que dans la vraie Tradition de l'Eglise dont le Concile Vatican II est le prolongement. Aujourd'hui où le magistère est particulièrement attaqué et où la Tradition est tant dénigrée, les traditionalistes ont un exemple à donner de fidélité tant à l'un qu'à l'autre.
Que la liturgie tridentine soit vécue par tous comme un enrichissement de la vie ecclésiale autour des évêques et du pape, et que le Concile Vatican II, en tant que continuation de la Tradition de lEglise et des précédents conciles, soit aimé et vécu par tous, voilà ce que lon peut souhaiter de plus beau pour lEglise du troisième millénaire !
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1. Conc. Vat. II, Const. Dogm. Lumen gentium chap.1, no 8
2. Conc. Vat II, Const pastorale. Gaudium et Spes chap IV, no40, 2
3. Conc. Vat. II, Const. Dogm. Lumen gentium, chap II No17
4. Conc. Vat. II, Décret Unitatis Redintegratio, chap II, No11
5. cf. " Cinq propositions pour lEglise de lan 2000 ", par le groupe " Paroles " La Croix du 26 janvier 2000
6. Conc. Vat. I, Const. Dogm. Pastor aeternus, chap 4
7. Const. Dogm. Dei Verbum n° 1, Avant-propos
8. Dei Verbum chap II, n° 10
9. Jean-Paul II, Motu proprio Ecclesia Dei, 1988
10. Vittorio Messori & card. J. Ratzinger, Entretiens sur la foi.
11. Cf. la deuxième partie de notre essai.
12. ed. Sainte-Madeleine
13. cf. Présentation générale du Missel romain, 1975
14. St Pie X, Motu proprio Abhinc duos annos -23 octobre 1913
15. St Pie X, Motu proprio Tra le sollecitudini dellofficio pastorale, 22 novembre 1903
16. cf. Jean-Paul II, Lettre apostolique pour le 25e anniversaire de la Constitution dogmatique sur la sainte Liturgie
17. désormais notée S.C.
18. S.C., no21
19. cf. J.P. II, Lettre apost. pour le 25e anniversaire...
20. S.C. No34
21. S.C. No51
22. S.C. No50
23. S.C. No23
24. cf. J.P.II, Lettre pour le 25e anniversaire...
25. En particulier la tradition apostolique par saint Hippolyte, IIIe siècle.
26. Missel romain, IVe Prière eucharistique.
27. cf. Père A. Bandelier, Simples questions sur la messe et la liturgie, ed. C.L.D.
28. Dom Robert Le Gall, La messe au fil de ses rites, ed. C.L.D
29. SC n° 57
30. Dom Le Gall, La messe au fil de ses rites, op. cit.
31. Session XXII, doctr. du sacrifice de la messe, chap 8
32. ibid. can. 9
33. SC no 33
34. SC no 36
35. Ordo Missae, 1975
36. Card. Ratzinger, Dix ans du Motu proprio, 1998
37. cf. Const. Dogm. Dei Verbum, no12, no24 ; Sacrosanctum Concilium, no23
38. Const. Dogm. Dei Verbum, nos 9, 10,11
39. Bien des traditionalistes seraient étonnés de constater quil est difficile de distinguer une messe de St Pie V dune messe de Paul VI, si celle-ci est célébrée en latin et même dos au peuple, ce qui est strictement fidèle au Concile.